Songdo IBD
Morphologie urbaine et énergie
Coupe urbaine analytique, Tristan Huguen
Une ville nouvelle sans nouveauté
Le terrain plat du polder sur lequel repose Songdo auraient permis à ses concepteurs toutes les libertés de dessin de morphologie urbaine, mais pourtant le plan de Kohn Pederson Fox ressemble à celui de n’importe quelle ville américaine moyenne, rectiligne et divisée en "blocs", un zoning d’activités banal et de larges voiries et carrefours pour faciliter la circulation automobile.
Compte tenu des moyens financiers investis dans la construction de la ville, Songdo aurait pu être un réel terrain d’expérimentation, laboratoire de nouvelles typologies architecturales et organisations de l’espace mais le plan final relève d’une timidité décevante.
Avec ses 65 000 habitants pour 6km2, Songdo IBD a une densité de 10 833 habitants au kilomètre carré, similaire à celle de New York, plus que celle de Londres et ses 5 600 habitants/km2 mais bien inférieure à Séoul et ses 17 000 habitants/km2.
Plan de Songdo IBD - Kohn Pederson Fox
La question de la densité urbaine et de son impact environnemental fait encore débat : d’une part l’étalement urbain peut englober des terres agricoles ou forestières et génère des distances de trajets quotidiens plus importants au sein de la population. D’autre part, une trop grande densité peut créer de la congestion, amoindrir la qualité de vie (hygiène, luminosité, part d’espaces verts, taille des logements) et les bâtiments de grande hauteur ont tendance à consommer plus d’énergie. La recherche d’un équilibre idéal est toujours en cours mais il me semble que les 10 833 habitants/km2 de Songdo est trop minime, et que la création de cette ville nouvelle aurait pu permettre de développer une nouvelle morphologie urbaine entre haute densité et qualité de vie.
Parallèlement, la ville promeut son caractère écologique par la part importante d’espaces verts qui la couvrent à 40%.
Enfin, il est important de noter que sur les 2.4 km2 d’espaces verts de Songdo IBD, un tiers de ces espaces (0.88km2) correspond au Jack Nicklaus Golf, conçu par le cabinet spécialisé du même nom. Or cet espace vert est d’une part, inaccessible au grand public, et d’autre part, n’est principalement constitué que de grandes étendues de gazon et non pas d’arbre ou massifs denses. Son caractère écologique pour l’absorption de carbone ou l’accueil de biodiversité est donc pratiquement nul.
Jack Nicklaus Golf, Songdo – Gale International
Certes, la végétation présente dans ces espaces participe à l’absorption du carbone, améliore la qualité de l’air, limite les ilots de chaleur et procure aux locaux des espaces de promenade et de loisir agréables. Cependant, ces espaces verts en milieu urbain, très dessinés et à la végétation peu dense accueillent une biodiversité pauvre, bien moins foisonnante que celle des marécages présents avant la construction du polder. Par ailleurs et ce malgré les promesses des autorités locales, le recyclage des eaux usées comme la récupération des eaux de pluie est loin de garantir un opprovisionnement en circuit court, nécessitant alors la construction de réseaux et pompes pour acheminer depuis un barrage situé à l'Est de Séoul.
Cela soulève un enjeu majeur dans la conception d’espaces dits « durables » : la perception des habitants sur ce qui définit ou non un lieu « écologique ». Dans un sondage réalisé en 2020, 50,4% des sud-coréens interrogés ont répondu que le plus important pour qu’une ville soit « verte » était la présence de parcs et de végétation. Cela montre le raccourci souvent fait entre végétal et écologie ; oui la présence d’espaces verts est globalement bénéfique, mais cela dépend du contexte dans lequel ils ont été créés mais surtout, ces espaces bénéficient principalement à l’homme et non aux autres espèces animales.
Pour que la smart city soit réellement intelligente, elle doit participer à une sensibilisation de ses habitants sur les mécanismes précis d’écosystèmes et impacts des méthodes de construction d’une ville.
Production énergétique: bonnes intensions et désillusions
Des panneaux solaires couvrent la grande majorité des toitures de la ville, mais le climat de la Corée du Sud, avec un été pluvieux et un hiver froid et enneigé ne permet absolument pas à ces panneaux de couvrir l’ensemble de la demande électrique. Certains bâtiments, comme le Posco Green Building produisent jusqu’à 35% de l’énergie qu’ils consomment, en associant l’énergie solaire à l’énergie géothermique, mais leur autonomie est loin d’être garantie. Bien que leur fabrication demande une transformation de la silice en silicium, donc de grandes quantités de sable déjà bien trop exploité, l’ADEME estime que son empreinte carbone est amortie au bout de une à trois années.
Panneaux solaires sur un toit de Songdo - http://koreatimes.co.kr/
Une digue et une centrale similaire à celle de Sihwa, située à quelques kilomètres de Songdo, devait être construite. Mais l’impact sur le paysage ainsi que sur la faune et la pêche est tel qu’une série de scandales à fait couler le projet.
Ces centrales possèdent de nombreux avantages : d’une part, elles sont faciles à construire et relativement peu onéreuse. D’autre part, elles permettent de regrouper la production électrique et la production de chaleur, redistribuée dans un réseau urbain. Cette combinaison augmente ainsi le rendement énergétique global, et donc simultanément de limiter son impact carbone.
D’après la Korea Energy Management Corporation, ce type de centrale permet de limiter les émissions de CO2 à hauteur de 22.99% en comparaison à un système énergétique non mutualisé. Véolia donne des chiffres similaires : de 14 à 28% en fonction du type de centrale CHP. (La cogénération, ou l’optimisation énergétique au service de la performance environnementale, veolia.com)
Cela soulève globalement la question du mix énergétique, entre idéaux et réalité du terrain. Dans le cas de Songdo, une production électrique 100% renouvelable aurait été extrêmement complexe à mettre en place, douteuse de par le climat qui ne garantit pas une production suffisante, et aurait produit parallèlement d’autres problèmes environnementaux.
C’est pourquoi les investisseurs et concepteurs ont opté pour une solution alors en plein développement dans les années 2005 : les centrales de cogénération ou des centrales CHP (Combined Heat and Power). Alimentée en gaz naturel liquéfiée, la centrale de Songdo mise en place en 2007 a une puissance de 207MW (à titre indicatif, un réacteur nucléaire français moyen a une puissance de 900MW). Celle-ci garantit la grande majorité de la distribution électrique de la ville, la puissance solaire de Songdo n’étant estimée qu’à 10MW (4.2%) et la géothermie à 20MW (8.4%) (Source : IFEZ).
Cependant, malgré cette amélioration des performances, le gaz reste un émetteur majeur de C02. D’après économiedenergie.fr, il émet par exemple 44.3 fois plus de CO2 que l’éolien ou l’hydroélectrique pour la même quantité d’énergie produite.
Centrale Sihwa – Wikipédia
La consommation énergétique des bâtiments représente une part majeure dans la consommation d’une ville. Par exemple, elle est de 71% à Paris (dont environ la moitié pour les logements et l’autre moitié pour le tertiaire). L’isolation, le chauffage et le refroidissement des bâtiments représentent donc un point essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Les investisseurs de Songdo ont donc énormément misé sur l’efficacité de l’isolation mais aussi sur les techniques de construction de la centaine de tours et autres bâtiments de la ville.
D’une part, Posco (finançant 30% de l’opération), plus gros producteur d’acier sud-coréen, s’est engagé à utiliser 75% d’acier recyclé. D’après l’ADEME, une tonne d’acier produite émet en moyenne 300 kg d’équivalent carbone contre 870 dans le cas d’acier de première fonte. Pour un taux de recyclage de 100%, une étude de World Steel Association indique qu’il peut descendre à 227 kgEqC/t en comprenant le transport.
Un résultat qui reste néanmoins largement supérieur à ceux du béton ou encore du bois.
Enfin, Songdo se vante de posséder la plus grande concentration de bâtiments certifiés LEED. Cette certification (Leadership Energy and Environmental Design), créée aux Etats-Unis en 1998 agit de manière similaire à un label selon plusieurs critères,
Répartis sur 106 projets, ce sont au total 2 millions de m2 qui ont ou vont recevoir la prestigieuse certification, notamment grâce à 75% de recyclage des déchets de construction (worldconstructionnetwork.com), au recyclage de l’acier cité précédemment et à l’isolation poussée des bâtiments. Songdo devrait ainsi posséder la plus grande concentration mondiale de bâtiments certifiés.
En effet, certains des bâtiments sensés recevoir la certification n’ont même pas encore été construits (50% en 2020 - Smart City Songdo? A Digital Turn on Urban Fabric ,Suzanne Peyrard, Valérie Gelézeau). Une vaste part de ces projets n’ont reçu qu’une pré-certification, contrairement à ce que prétendent de nombreux articles.
Coupe urbaine analytique, Tristan Huguen